Dopage

Un rapport sur la Russie secoue l’olympisme

Ulcérées par de piètres résultats à Vancouver, les autorités russes ont mis en place un système complexe de dopage en vue des Jeux olympiques de Sotchi, conclut un nouveau rapport accablant de l’Agence mondiale antidopage (AMA).

Ce système remonte jusqu’au gouvernement et implique des espions du FSB, successeur du KGB. Il a permis de masquer les résultats positifs de plus de 300 athlètes russes, conclut le responsable de l’enquête, le Canadien Richard H. McLaren.

À deux semaines du coup d’envoi des Jeux de Rio, le document de 97 pages a eu l’effet d’une bombe. L’AMA a demandé hier au Comité international olympique (CIO) de bannir tous les athlètes russes des compétitions au Brésil.

De son côté, le président russe Vladimir Poutine a dénoncé une campagne antirusse et estime que le mouvement olympique « est sur le bord d’une scission ».

« On est en train d’assister à un retour dangereux de la politique dans le sport. »

— Vladimir Poutine

« Le genre de ces interférences a changé, mais l’essence est la même : faire du sport un instrument de pression géopolitique, un instrument pour donner une image négative de certains pays », a dit Poutine.

Devant l’ampleur des preuves, le président Poutine a toutefois décidé de suspendre temporairement les responsables russes qui, selon le rapport, ont participé au « dopage d’État ». Il dit attendre les résultats d’une enquête interne pour décider de leur sort.

DEPUIS VANCOUVER

Le rapport McLaren prétend que l’État russe a mis en place un système de dopage après les Jeux de Vancouver. La Russie avait terminé au 11e rang, avec seulement 15 médailles.

Le mécanisme créé en 2011 visait à effacer les contrôles positifs d’athlètes russes. Le ministère des Sports était mis au courant directement par le laboratoire antidopage de Moscou de tous les contrôles positifs. Un fonctionnaire haut placé du Ministère décidait pour chaque athlète s’il était « sauvé » ou pas. Sur 577 cas signalés au Ministère dans les dernières années, 312 ont été cachés.

Les contrôles positifs des athlètes « sauvés » – souvent des athlètes russes ayant de bonnes chances de médaille – disparaissaient. Ces cas positifs étaient falsifiés et n’étaient pas connus du public. C’était comme s’ils n’avaient jamais eu lieu.

Quatorze des trois cent douze cas positifs cachés concernent des hockeyeurs, précise le rapport McLaren, qui ne dévoile aucun nom d’athlète.

À SOTCHI, UN NOUVEAU SYSTÈME

Pour les Jeux de Sotchi, un nouveau système a dû être mis en place, selon l’AMA. Ce système devait être plus sournois, pour tromper les observateurs internationaux présents dans les laboratoires antidopage.

L’ancien directeur du laboratoire de Moscou Grigory Rodchenkov a déjà expliqué ce système en long et en large à CBS et au New York Times, en mai dernier. L’enquête de l’AMA, bouclée en 57 jours, est née de ces révélations.

Rodchenkov a collaboré à l’enquête. Mais Richard H. McLaren a voulu valider les allégations du lanceur d’alerte, ce qu’il croit avoir réussi à faire.

Voici, selon l’AMA, le modus operandi utilisé par les Russes aux Jeux de Sotchi, où ils ont fini au premier rang, avec 33 médailles.

Avant le coup d’envoi des Jeux, Rodchenkov, qui vit en exil aux États-Unis, dit avoir reçu une liste de 37 noms d’athlètes russes. Il s’agissait d’espoirs de médailles à qui il devait fournir un cocktail dopant. Il devait aussi avoir pour chaque athlète un échantillon d’urine propre.

UN ESPION DANS LE LABO

Ces échantillons étaient stockés par les services secrets russes, le FSB. Un agent du FSB avait d’ailleurs un bureau directement dans le laboratoire antidopage de Sotchi, selon des documents obtenus par l’AMA. Pour passer inaperçu aux yeux des observateurs internationaux, cet agent du nom d’Evgeny Blokhin était enregistré comme un simple technicien.

Or, dans la nuit, des agents du FSB retrouvaient les vrais échantillons d’urine des 37 athlètes russes et de plusieurs autres, qu’on leur indiquait. Toujours selon l’AMA, les agents secrets parvenaient à ouvrir les échantillons scellés et à remplacer l’urine par de la propre.

Les enquêteurs de l’AMA ont fait étudier les flacons des Jeux de Sotchi. Des « égratignures et des marques » ont été trouvées sur nombre d’entre eux, ce qui prouve qu’ils avaient été ouverts. Parfois, les échantillons rouverts aux fins de l’enquête ne contenaient pas l’ADN de l’athlète auquel ils étaient censés appartenir.

Selon l’AMA, c’est parce que, lorsque les agents secrets n’avaient pas sous la main un échantillon d’urine propre appartenant à l’athlète, ils remplaçaient son urine par celle d’une autre personne.

« Le ministère des Sports a dirigé, contrôlé et coordonné la manipulation des résultats avec la participation active du FSB, de l’institut de haute-performance russe et des laboratoires de Moscou et de Sotchi », conclut le rapport McLaren.

Le comité de direction du CIO doit se rencontrer aujourd’hui en urgence pour décider de la marche à suivre. Le président Thomas Bach a dit dans un communiqué ne rien écarter, même des sanctions relatives aux Jeux de Rio.

« Les conclusions de ce rapport font état d’une atteinte choquante et sans précédent à l’intégrité du sport et des Jeux olympiques. En conséquence, le CIO n’hésitera pas à prendre les sanctions les plus sévères qu’il puisse infliger à toute personne ou organisation impliquée », a indiqué Thomas Bach.

Dopage

« Le monde entier nous regarde. Le CIO est le gardien du mouvement olympique. Bannir les athlètes russes des Jeux de Rio est une décision difficile. Mais en ne la prenant pas, on risque de miner grandement la crédibilité du mouvement olympique. On va voir si le CIO a la volonté de le faire dans les prochains jours. »

— Adam Pengilly, athlète britannique de skeleton, membre de la Commission des athlètes du CIO

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« Grigori Rodtchenkov [le lanceur d’alerte] a tout inventé et organisé. Il a fait boire ses cocktails à nos sportifs. En Russie, il dit une chose et aux États-Unis, il en dit une autre. Il y a aujourd’hui énormément d’insinuations et de fantaisies, mais aucune d’entre elles n’est appuyée par les faits. »

 – Dmitri Svichtchev, président du Comité pour le sport à la Douma (chambre basse du Parlement russe), à l’AFP

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« Nous demandons ce rapport depuis un an, quand les premiers indices d’un dopage russe systématique en athlétisme ont fait surface. Malgré ça, les révélations d’aujourd’hui sont choquantes. Nous sommes fâchés de voir ce système de dopage généralisé. Nous soutenons les demandes de l’Agence mondiale antidopage [de bannir les athlètes russes des Jeux de Rio]. Nous allons continuer de défendre les athlètes propres de ce monde. »

— Beckie Scott, présidente du comité des athlètes à l’Agence mondiale antidopage (AMA)

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« Je ne me suis jamais dopé, j’ai toujours été honnête. Je n’ai vu aucun deuxième laboratoire à Sotchi. J’ai donné deux fois des échantillons et il y avait chaque fois une personne à côté de moi qui contrôlait la procédure. Il n’y a eu aucune autre sortie ou entrée depuis le Village olympique, aucune autre procédure médicale nous concernant, quoi que l’on dise. »

 – Le patineur artistique russe Evgeni Plushenko, médaillé d’or à Sotchi

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